La Méditerranée à bout de souffle ?

L’oxygène (O2) présent dans l’eau est indispensable à la respiration des organismes marins. Une part importante de cet O2 provient du transfert de ce gaz de l’atmosphère vers l’océan où il se dissout dans les eaux de surface. Cette « ventilation » de l’océan ne peut se faire en profondeur que par des phénomènes qui emportent ces eaux de surface vers le fond, où elles vont se mélanger et enrichir en O2 les eaux profondes.  La mer Méditerranée nord-occidentale - et plus précisément le Golfe du Lion -, est l'une des rares régions du monde où se produit ce phénomène.

En hiver, les vents de Mistral et Tramontane, froids et secs, entraînent un refroidissement et une évaporation des eaux en surface, ce qui augmente leur densité. C’est alors que se déclenche la convection profonde : les eaux de surface devenues brutalement plus denses « coulent » et se mélangent avec les eaux plus profondes jusqu’à 2000 m de profondeur, leur apportant de grande quantité d’O2. Ces nouvelles eaux profondes se répandent ensuite dans toute la Méditerranée occidentale, complétant ainsi le processus de ventilation.

Pour mieux comprendre ce phénomène , un déploiement intensif de nouveaux robots, capables de mesurer et de transmettre les concentrations en O2 en temps réel, a été lancé en Méditerranée nord-occidentale en 2012-2013 pendant un épisode de convection intense lors du projet DEWEX de MISTRALS. Associées à plusieurs campagnes en mer et à un modèle numérique couplé en physique et biogéochimie tridimensionnel, ces observations inédites ont permis de montrer que cette région agit bien comme un puits d’O2 atmosphérique pendant les deux mois de convection hivernale. Par ailleurs, on sait désormais que la quantité d’O2 atmosphérique absorbée par les eaux de surface est équivalente à celle respirée par les organismes marins de toute la Méditerranée.

Toujours dans le cadre de MISTRALS, le projet PERLE a permis quant à lui de lancer une série d’observations similaires de 2018 à 2021 en Méditerranée orientale pour étudier une seconde région de convection d’eau  située  entre la Crête et Chypre. Les premiers résultats montrent cependant que l’intensité du phénomène y est bien plus faible que dans le Golfe du Lion et que le mélange hivernal ne permet de ventiler la colonne d’eau que à des niveaux intermédiaires (quelques centaines de mètres) .

L’évolution de la ventilation des eaux intermédiaires et profondes de la Méditerranée dans les décennies à venir est une préoccupation majeure. Elle pourrait être moins efficace en raison du réchauffement des eaux en surface lié au changement climatique. Si leur température augmente, d’une part la capacité des eaux de surface à capter l’O2 atmosphérique diminue, et d’autre part, la convection sera moins intense. Le volume des eaux pauvres en O2 dans le bassin nord-occidental pourrait alors augmenter d’ici 25 ans, ce qui affecterait considérablement et durablement les écosystèmes marins.

 

Auteures et auteurs

Laurent Coppola, Caroline Ulses, Dominique Lefèvre, Thibaut Wagener