Au large de Toulon, le robot Bathybot part explorer la planète des abysses

Sous ses airs de WALL-E, le robot Bathybot part explorer les fonds marins durant 10 ans au large de Toulon, à 2 400 mètres de profondeur. Entre bioluminescence et neige sous-marine, il doit aider la communauté scientifique internationale à percer les mystères encore nombreux de ce monde méconnu.

Un robot équipé de chenilles, caméras et capteurs, de 1,2 mètre de long sur 1 mètre de large et dont l’allure évoque forcément son homologue star, le rover Perseverance, sur Mars. La mission de Bathybot est beaucoup plus proche, sur notre planète, mais concerne un univers tout aussi lointain en termes d’explorations scientifique et humaine : les abysses océaniques.

Les Abysses ? « Il ne s’agit pas de la zone abyssopélagique qui se situe de 4 000 à 6 000 mètres de profondeur », nous reprend Christian Tamburini, un des pères du projet. Le chercheur à l’Institut méditerranéen d’océanologie (MIO) de Marseille précise que, « comme son nom l’indique, Bathybot étudie la zone au-dessus, dite zone bathyale ou bathypélagique ».

À 2 400 mètres sous la surface tout de même, dans cet environnement qui combine des conditions extrêmes : absence totale de lumière, grand froid et haute pression. Là où les missions humaines sont très difficiles et ne durent que quelques heures, en sous-marin. Pas de quoi effrayer ce concentré de technologie aux airs de WALL-E, immergé depuis le 3 février à 40 kilomètres au large de Toulon. Il mènera sa mission scientifique durant près de 10 ans. « Il récoltera des données inédites dans ce milieu, 24 heures sur 24, sept jours sur sept », se réjouit le chercheur.

Une base scientifique sous-marine au large de Toulon

Au large de la Côte d’Azur, le talus continental présente un angle nettement plus accentué qu’ailleurs et permet d’atteindre ces profondeurs rapidement. Une faible distance qui permet de connecter le petit robot jaune à la terre, par câble, afin de pouvoir le piloter à distance et l’alimenter en énergie.

D’autant que le site est déjà raccordé à la surface depuis des années avec le laboratoire sous-marin Provence Méditerranée (LSMP). Il accueille notamment le télescope sous-marin géant Antares, un « détecteur de neutrinos » initialement dédié à l’astronomie de haute énergie et la recherche de la matière noire.

Bathybot s’est installé à proximité. « On utilise un “nœud” de ce site pour se connecter. On va mettre une rallonge de 2,5 km, et le tout va être relié d’ici quelques semaines. On pourra alors piloter directement le robot de notre ordinateur », se réjouit Christian Tamburini.

Faire la lumière sur la bioluminescence

Et ainsi ouvrir une fenêtre d’observation sur un monde méconnu mais dont l’intérêt scientifique est « passionnant à plus d’un titre », assure le chercheur. D’abord concernant la bioluminescence. Cette capacité des organismes, microscopiques ou plus grands, à produire de la lumière dans cet environnement qui en est dépourvu.

« Trois quarts des espèces sont bioluminescentes à ces profondeurs. On sait que ça sert de communication intra-espèce, pour se reconnaitre et pour la sexualité. Pour d’autres, c’est une façon d’attirer des proies. Ou inversement, comme ces crevettes qui émettent de la lumière pour détourner les prédateurs ». Mais pour Christian Tamburini, ce phénomène est encore largement « méconnu dans son ampleur et ses fonctions ».

Comme avec les bactéries, « pour qui le rôle de la bioluminescence est plus ambigu. On ne sait pas pourquoi elles font ça, c’est un non sens écologique. Peut-être attirer des espèces pour être ingérées et se retrouver dans l’organisme ? » C’est ce que Bathybot aidera à découvrir.

Neige marine et réchauffement climatique

Les chercheurs vont également tenter de relier la bioluminescence avec un autre grand phénomène océanique « la pompe biologique de carbone ». Le robot va pouvoir observer et filmer en continu un élément central de ce processus : « la neige marine ». Ces « flocons » de sédiments et de matière organique (dont le phytoplancton) se forment en surface où ils capturent du CO2 et chutent dans la colonne d’eau pour le piéger dans les abysses.

« 50 % du carbone est absorbé par les océans grâce à ce phénomène », selon le chercheur. À l’heure de la crise climatique, il espère mieux comprendre ce mécanisme. Notamment la part de ce carbone « séquestrée durablement dans le fonds marin, et la part relâchée, par exemple lorsque des organismes consomment le phytoplancton ».

Les caméras de haute précision de Bathybot permettront de « prendre des images de la neige marine, qu’on suppose potentiellement bioluminescente. Peut-être à 70 %. Mais on n’a pas de preuve directe de ça ».

Le duo BathyReef et BathyBot

En tant que nouvelle star des profondeurs, Bathybot a même le droit à une estrade. Pas pour être vu, « pour mieux voir. Car dans la plaine abyssale, on peut avoir une mauvaise visibilité. Notamment près du fond ou les sédiments peuvent être soulevés ».

Une rampe aux allures de récif coralien a été spécialement conçue pour lui permettre de s’élever à 1,2 mètre de hauteur : Bathyreef. Ce module en béton inerte aux allures de récif coralien a été conçu par le laboratoire marseillais Rougerie + Tangram, dont les architectes et ingénieurs sont spécialisés en biomimétique. Ou l’art de s’inspirer du vivant.

Il s’agira d’ailleurs d’attirer des organismes car la structure est pensée comme un récif artificiel. « Bathybot pourra observer et analyser la colonisation dans cet environnement ». Ce module est également imaginé pour stimuler les organismes bioluminescents qui le traverseront grâce au courant, en créant des turbulences et des frottements. Le robot aura le loisir d’observer ce phénomène au plus près.

« ISS sous-marin »

Bathybot et les instruments associés forment donc une base scientifique sous-marine unique pour l’observation du milieu profond : la dynamique des caractéristiques physico-chimiques du fond sédimentaire, l’acidification, la température, l’oxygénation de la Méditerranée…

L’Institut méditerranéen d’océanologie (MIO) de Marseille est en première ligne sur ce projet, avec Christian Tamburini et sa collègue Séverine Martini. Mais une large communauté scientifique est impliquée. De Paris à la Seyne-sur-Mer, avec des institutions telles que le CNRS, l’INRAE, l’IRD, l’Ifremer, Aix-Marseille Université…

Et la coopération scientifique doit prochainement devenir internationale. « Des scientifiques allemands, espagnols, italiens s’y intéressent », explique Christian Tamburini. Il parle ainsi d’un « ISS (Station spatiale internationale) sous-marin ». Si le prix du matériel atteint « autour de 600 000 euros », sans compter le coût de l’opération, « ça reste quand-même bien en-dessous des campagnes spatiales ».