Campagne BioSWOT-Med : Interview d'Andrea Doglioli

 

Blog BioSWOT-Med : Tenter de résoudre le paradoxe du plancton en Méditerranée

 

Andrea Doglioli, scientifique en chef de BioSWOT-Med, explique les objectifs de la campagne et la manière dont lui et ses collaborateurs tenteront de démêler le paradoxe du plancton en mer Méditerranée en étudiant les fines échelles de l'océan. Les résultats de la campagne permettront de mieux comprendre le couplage physique-biologique qui s'applique à la majeure partie de l'océan mondial.

LES THÈMES DE RECHERCHE - Andrea Doglioli est le scientifique en chef de la campagne BioSWOT-Med et professeur associé en océanographie physique à l'université d'Aix-Marseille. Ses recherches à l'Institut méditerranéen d'océanographie (MIO) portent sur la circulation océanique et en particulier sur les tourbillons, filaments et turbulences océaniques, et leur impact sur la dispersion des nutriments, des organismes marins, des sédiments et des polluants. Pour ses recherches, Andrea Doglioli utilise à la fois la modélisation numérique et les mesures de terrain en mer, avec une préférence pour les méthodes lagrangiennes. SWOT AdAC l'interroge sur les objectifs de la croisière BioSWOT-Med.

 

Quelles sont les principales questions de recherche de la campagne BioSWOT-Med ?

Je pourrais résumer en disant que l'objectif de la campagne BioSWOT-Med est d'essayer de résoudre le paradoxe du plancton. En écologie, il existe un principe selon lequel, lorsque les ressources sont limitées, les organismes vivants se battent entre eux pour y accéder et seuls quelques individus, les mieux adaptés, peuvent survivre. En réalité, lorsque l'on étudie les organismes microscopiques du plancton marin, on s'aperçoit que, malgré la très faible disponibilité des nutriments, il existe une énorme biodiversité. D'où le paradoxe du plancton ! Nous émettons l'hypothèse que cette biodiversité est possible grâce au mélange continu de très petits mouvements générés par les courants à la surface de l'océan. Pour cette raison, pendant la campagne BioSWOT-Med, nous mesurerons les flux verticaux de nutriments, le zooplancton broutant le phytoplancton et les mouvements horizontaux séparant les différentes communautés de plancton. Nous obtiendrons des données qui nous permettront d'étudier ce qui se passe à des échelles fines.

 

La région océanique autour des îles Baléares est l'un des endroits où il y aura un "SWOT crossover". Par le passé, vous avez déjà mené d'autres campagnes océanographiques dans cette région. Comment cette région se caractérise-t-elle ? Pourquoi est-il intéressant d'étudier le couplage physique-biologique dans cette région ?

La région océanique autour des Baléares est particulièrement intéressante car elle est caractérisée par la présence de différents types d'eau de surface, celle venant récemment de l'Atlantique par le détroit de Gibraltar et l'eau résidant depuis plusieurs années en Méditerranée. Dans le passé, nous avons déjà observé que ces différents types d'eau sont peuplés par des communautés de plancton différentes, séparées par des courants éphémères. Chercher à comprendre les mécanismes qui sous-tendent ces observations antérieures est l'objectif de cette nouvelle campagne. Comme les régions oligotrophes (c'est-à-dire pauvres en nutriments) et modérément énergétiques sont représentatives d'une très grande partie de l'océan mondial, nos résultats peuvent avoir une signification globale lorsqu'ils sont extrapolés à l'ensemble de l'océan.

 

Au cours de la campagne, vous étudierez les processus océaniques à la sub-mésoéchelle. Pouvez-vous nous expliquer de quoi il s'agit?

Le terme "échelle" est utilisé pour représenter la taille dans l'espace et la durée dans le temps d'un phénomène dynamique. Par exemple le Gulf Stream est un courant à "grande" échelle : il traverse tout le bassin Atlantique et il est permanent ; les grands tourbillons générés par le Gulf Stream sont appelés tourbillons "méso-échelle" car ils ont un rayon d'environ 100 km et peuvent vivre plusieurs mois ou quelques années ; en zoomant un peu plus, il est possible d'observer également des tourbillons ou des filaments de courant petits et éphémères entre les anneaux, ces traits caractérisent la "sub-mésoéchelle" océanique. Enfin, le terme "échelle fine" regroupe les échelles méso et sub-méso.

 

La campagne BioSWOT-Med suivra une stratégie d'échantillonnage adaptative. Qu'est-ce que cela signifie ?

Étant donné que les caractéristiques sub-mésoéchelles sont petites et éphémères, pour échantillonner les eaux qui s'y trouvent, vous devez utiliser les images satellites de la surface de l'océan pour les identifier dans votre zone d'étude. Ensuite, nous concevons l'itinéraire du navire de recherche pour qu'il les rencontre : c'est ce que nous appelons une stratégie d'échantillonnage adaptative.

 

Au cours de la campagne, il vous arrivera de laisser le bateau dériver en mer au gré des courants. Pouvez-vous nous expliquer comment vous procédez et pourquoi ?

Oui, cette technique est appelée échantillonnage lagrangien, du nom du mathématicien du XVIIIe siècle Joseph-Louis Lagrange, qui a suggéré d'échantillonner les courants océaniques en suivant leur mouvement et en utilisant des objets à la dérive. Nous allons donc déployer des bouées dérivantes que nous pourrons suivre grâce au positionnement par satellite. Ce qui est intéressant, c'est qu'on peut ainsi obtenir une série temporelle, par exemple, de la concentration de plancton dans une masse d'eau cible qui n'est pas affectée par le transport du courant lui-même et ensuite on peut se concentrer sur les processus qui affectent leur concentration, comme les flux de nutriments ou le broutage du zooplancton.

 

La stratégie d'échantillonnage du BioSWOT-Med consiste à effectuer trois fois les mêmes types de mesures. Pourquoi procédez-vous de la sorte ?

Nous répétons les échantillonnages trois fois parce que nous devons observer les variations temporelles, augmenter la précision de nos estimations et tester la reproductibilité de nos mesures.

 

La vie à bord d'un navire de recherche doit être organisée. Quels seront vos rythmes quotidiens et l'organisation des activités de recherche ?

En effet, pour travailler efficacement lors d'une croisière océanographique, il faut être bien organisé !  Les responsables de la stratégie adaptative et lagrangienne auront des réunions quotidiennes entre eux pour étudier les images satellites, la position des bouées et aussi avec l'équipage pour définir la route. Lors des stations d'échantillonnage, des protocoles précis sont respectés afin d'exploiter au mieux l'échantillon d'eau provenant des profondeurs de l'océan. De plus, BioSWOT étant une croisière multidisciplinaire, nous organiserons également des séminaires à bord pour partager les résultats préliminaires obtenus par les spécialistes de chaque discipline, comme la physique, la chimie et la biologie.

 

Cette campagne BioSWOT-Med est une collaboration entre différentes institutions, tant en France qu'à l'international. Quelles sont ces institutions ?

Oui, tout à fait. BioSWOT-Med est une campagne interdisciplinaire et internationale ! Les chercheurs qui participeront à la campagne BioSWOT-Med sont affiliés à l'Université d'Aix-Marseille, au CNRS, à Sorbonne Université, au Musée national d'histoire naturelle (France), au CNR et à l'OGS (Italie), à l'Institut Thünen (Allemagne), à l'Université d'Arizona (États-Unis) et à l'Université d'Auckland (Nouvelle-Zélande).

Nous collaborons également avec des collègues du SHOM, du CEA, de l'IFREMER, de l'ULCO, de l'Université Gustave Eiffel (France), du CSIC (Espagne), du SZN (Italie), de l'Université de Bergen (Norvège), de l'UCSD, du MBARI, du NWRA et de l'Université de Washington (États-Unis).

Ce sont plus de 50 personnes qui sont impliquées dans BioSWOT-Med. Elles travaillent pour d'importants laboratoires d'océanographie tels que MIO, LOCEAN (France), ISMAR (Italie), IMEDEA, SOCIB (Espagne), SCRIPPS (USA).

 

Contact: Tosca Ballerini

 

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