Campagne BioSWOT-Med : Interview de Gérald Gregori

Chercher à découvrir les moteurs de la diversité et de la distribution du plancton en mer Méditerranée

 

Gérald Grégori, co-responsable scientifique de BioSWOT-Med, décrit la stratégie d'échantillonnage de la campagne et la façon dont elle permettra de recueillir des données pour étudier les moteurs de la diversité et de la distribution du plancton en mer Méditerranée en étudiant les caractéristiques à petite échelle telles que les filaments ou les petits tourbillons. Même si ces structures sont faibles et de courte durée (quelques jours), elles peuvent en effet influencer fortement la communauté microbienne.

 

Gérald Grégori, co-responsable scientifique de BioSWOT-Med, dans le laboratoire à bord du R/V L'Atalante.

 

LES THÈMES DE RECHERCHE - Gérald Grégori est chercheur au CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique), à l'Institut Méditerranéen d'Océanographie situé à Marseille (France). Ses recherches portent sur les microbes planctoniques marins et leurs relations avec l'écosystème et la biogéochimie. Pour ce faire, il étudie les facteurs qui influencent leur abondance et leur distribution le long de la colonne d'eau, à différents endroits tels que la côte ou l'océan ouvert. L'originalité de cette recherche est d'utiliser l'analyse de cellules uniques pour les étudier, à la fois in situ et en laboratoire, avec un accent particulier sur la cytométrie de flux. Dans le cadre de la campagne BioSWOT-Med, il est le scientifique en chef pour la biologie.

 

Quels sont les principaux thèmes de recherche qui seront abordés au cours de la campagne ?

Les thèmes qui seront abordés au cours de la campagne visent à dévoiler les moteurs de la diversité et de la distribution du plancton en Méditerranée occidentale. Pourquoi la Méditerranée occidentale ? Parce que cette région combine une grande diversité de plancton, une faible concentration de nutriments et une faible circulation océanique. Nous pensons que les caractéristiques à petite échelle telles que les filaments ou les petits tourbillons, même s'ils sont faibles et de courte durée (quelques jours), peuvent fortement influencer la communauté microbienne.

Au cours de la campagne BIOSWOT-Med, nous prévoyons de suivre l'évolution temporelle de ces structures à échelle fine au-dessus du croisement de la Méditerranée occidentale généré par les traces du nouveau satellite SWOT, équipé d'une nouvelle génération d'instruments. Le nouvel interféromètre radar en bande Ka (KaRIn) mesurera le niveau de la mer avec une résolution sans précédent et nous aidera à mieux identifier, définir et décrire les caractéristiques à petite échelle rencontrées in situ.

Pendant la campagne BioSWOT-Med, nous visons à caractériser le couplage physique-biogéochimique dans ces structures à échelle fine grâce à une stratégie d'échantillonnage lagrangienne adaptative. Pour réaliser cette stratégie lagrangienne, nous utiliserons le logiciel SPASSO (Software Package for an Adaptive Satellite-based Sampling for Oceanographic cruises) développé dans notre groupe et appliqué dans plusieurs campagnes de recherche. Les informations physiques collectées grâce à un panel d'instruments (dériveurs et CTDs, Moving Vessel Profiler MVP, satellite, et modèles numériques) seront combinées à un énorme ensemble de données biologiques collectées par une caractérisation multi-capteurs de la communauté planctonique. Nous combinerons des analyses de cytométrie de flux, de l'imagerie, et des techniques moléculaires avancées (méta-transcriptomique, métagénomique et méta-barcodage), avec l'utilisation de plateformes autonomes et robotiques déployées in situ ou en laboratoire. L'objectif est d'obtenir une image plus complète de la distribution et de la dynamique des différents compartiments des premiers niveaux du réseau trophique, et de définir les relations entre eux et avec les facteurs hydrologiques (nutriments, température, salinité) et physiques (courants horizontaux, vitesses verticales, ...).

 

Dans la campagne BioSWOT-Med, vous êtes responsable de la microbiologie. Pouvez-vous expliquer ce qu'est la microbiologie et pourquoi il est important de l'étudier ?

Dans une petite cuillère d'eau de mer, des millions, voire des centaines de millions d'organismes sont présents : virus, archées, bactéries, eucaryotes. Sont-ils dangereux ?

Non !

Tous ces organismes sont des hôtes naturels de l'eau de mer. Ils sont même indispensables à la machinerie du plancton. Sans cette machinerie, nous ne mangerions pas de poisson, l'eau infectée de déchets organiques serait impropre à la baignade et, de plus, l'homme n'existerait probablement pas. Les organismes du phytoplancton sont microscopiques, invisibles, apparemment insignifiants. Et pourtant. Le plancton végétal est capable de transformer l'invisible (le dioxyde de carbone dissous ou CO2), le minéral (les sels nutritifs - nitrates, phosphates, silicates) et l'immatériel (la lumière) en matière organique. Comme les plantes terrestres, elle est à l'origine d'un miracle : créer la vie, la matière organique, à partir de la matière minérale inerte grâce à l'énergie lumineuse fournie par le soleil. Ce processus est appelé photosynthèse. Les organismes capables de fabriquer de la matière organique à partir de matière minérale et d'énergie sont appelés autotrophes.

Le phytoplancton est à la base du réseau alimentaire marin. Il s'agit d'un réseau très complexe qui part du phytoplancton, passe par le zooplancton (consommateur de phytoplancton et petit carnivore) et s'étend jusqu'aux prédateurs supérieurs (tels que les poissons, les dauphins, ... et l'homme). On estime qu'il faut une tonne de phytoplancton pour obtenir 100 g de chair de poisson. Les cellules de phytoplancton peuvent également précipiter au fond de la mer après leur mort et s'incorporer aux sédiments, piégeant le carbone qu'elles contiennent au cours des temps géologiques. Saviez-vous qu'elles sont l'une des sources de pétrole ? Enfin, ils peuvent également être "recyclés" dans la colonne d'eau par des bactéries. Les organismes phytoplanctoniques sont minuscules et leur biomasse (masse de matière vivante) ne dépasse pas 2 % de la biomasse végétale de la planète (mer et terre confondues). Mais ils sont responsables de près de la moitié de la production primaire de notre planète. En effet, la moitié de l'oxygène que nous respirons provient du phytoplancton. Sans la présence de phytoplancton dans les océans, la teneur en CO2 de l'atmosphère serait de l'ordre de 600 ppm (parties par million) au lieu des 400 ppm actuelles, ce qui équivaudrait à une augmentation supplémentaire de la température moyenne de notre planète de 1°C.

Le phytoplancton n'est pas le seul compartiment du plancton. Les procaryotes hétérotrophes, plus communément appelés bactéries et archées, représentent la plus grande source de biodiversité encore inconnue sur la planète. Ces minuscules cellules ne possèdent pas de noyau, contrairement aux cellules dites eucaryotes. La plupart de ces bactéries, et toutes les archées, sont hétérotrophes : elles ne font pas de photosynthèse et ont besoin (comme nous) de matière organique pour se nourrir. C'est souvent la matière organique morte, dissoute ou particulaire, qu'elles dégradent et recyclent. Les bactéries et les archées sont donc les indispensables "éboueurs" du plancton.

Toutes les bactéries ne sont pas hétérotrophes. Un groupe de bactéries photosynthétiques joue un rôle considérable dans le phytoplancton : les cyanobactéries (ou "algues bleues"). Certaines cyanobactéries sont capables de fixer l'azote moléculaire (N2), le gaz qui compose la majeure partie de l'air que nous respirons, compensant ainsi le manque de sels nutritifs. D'autres font simplement de la photosynthèse, comme les Prochlorococcus et les Synechococcus ; elles sont très petites (0,2 à 2 µm de diamètre) mais extraordinairement nombreuses : jusqu'à 100 000/millilitre.

 

Contact: Tosca Ballerini

 

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Les cytomètres du laboratoire du R/V L'Atalante.