Les algues, ces historiennes des mers

Véritable lieu de vie, les algues constituent un écosystème essentiel au sein des mers et des océans. Depuis plusieurs centaines d’années, des écologues se passionnent pour elles et collectionnent des planches d’herbiers. Aujourd’hui, l’Institut Méditerranéen d’Océanologie (MIO) basé à Marseille regroupe plus de 40 000 de ces planches, témoins uniques de la vie marine passée.
En juillet 2017, les scientifiques du MIO quittent la Méditerranée et partent sur le navire L’Antea à la recherche de la « nouvelle mer des sargasses » dans les Antilles. Car si la mer des Sargasses, bien connue des navigateurs depuis le 15e siècle, se situe au cœur de l’Atlantique nord, une nouvelle « mer » d’algues brunes se développe depuis plusieurs années dans la mer des Caraïbes. Objectif de l’expédition : réaliser des prélèvements afin de comprendre l’origine des sargasses, les raisons de leur multiplication et leur impact sur l’écosystème pélagique. Pendant un mois, les chercheurs prélèvent plus de 300 échantillons de ces algues flottantes.

Une fois sorties de l’eau, les algues sont séchées. « Cette étape est primordiale, explique Thierry Thibaut, phycologue et écologue marin à Aix-Marseille Université. Si l’algue est encore humide, elle peut moisir et ne pourra pas être conservée. À bord de l’Antea, nous avons mis beaucoup de temps à les faire sécher du fait de l’humidité du climat. Nous les avons suspendues partout sur le bateau pour pouvoir passer à l’étape suivante de conservation. »

Les scientifiques disposent ensuite chaque spécimen sur du papier cartonné, recouvert d’un tissu et de papier journal, et les pressent les uns contre les autres. Aucun traitement supplémentaire n’est nécessaire : le sel assure la conservation des échantillons. « Les algues prennent peu de place. En les protégeant du soleil, elles peuvent être conservées plusieurs centaines d’années, continue le spécialiste. De nombreuses analyses seront réalisées directement sur les planches d’herbier mais si un chercheur le souhaite, il pourra plonger le spécimen dans de l’eau de mer et l’algue retrouvera sa forme initiale. Après un nouveau séchage, elle reprendra sa place dans la collection. »
De retour à Marseille, les spécimens enrichissent les archives du MIO. Certaines de ces planches d'algues été collectées dès le début du 19e siècle dans le monde entier et ont été conservées sur le site de Saint-Charles d’Aix-Marseille Université. Elles ont été rassemblées au début des années 1960 au MIO qui représente aujourd’hui la troisième collection en France et est ainsi devenu un centre de référence pour l’étude des algues en Europe et en Méditerranée.

Conserver de tels échantillons permet aux chercheurs de les comparer avec des spécimens actuels, et d’identifier, le cas échéant, de nouvelles variétés ou espèces. Les phycologues peuvent également reconstituer la distribution mondiale des espèces siècle par siècle – les premières algues prélevées et conservées au Museum d’Histoire Naturelle de Paris datent de 1719 – et ainsi l’impact du changement climatique sur ces forêts marines. Les scientifiques ont ainsi mis en lumière un déclin important des populations d’algues lié à l’augmentation croissante des perturbations humaines dans les mers et les océans. 

De nombreux scientifiques européens et méditerranéens viennent régulièrement consulter les planches d’herbier. L’identification d’espèces, à travers des analyses biomoléculaires, nécessite en effet des extractions d’ADN sur des spécimens anciens. Ainsi, les chercheurs reconstruisent les arbres phylogénétiques  de ces espèces incluant des spécimens anciens et d’autres, récemment échantillonnés.

Mais les algues, véritables écosystèmes, sont aussi le lieu de vie de nombreux animaux. Au MIO, les chercheurs utilisent leurs archives pour comprendre les interactions entre les forêts marines et les êtres vivants qui les peuplent. Frayères, nurseries, refuges, leurs rôles sont multiples et indispensables au bon fonctionnement des mers et des océans.

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