«Malgré la réduction des émissions de mercure, il pourrait y en avoir davantage dans le poisson à l’avenir»

Entretien avec le chercheur Lars-Eric Heimbürger-Boavida, qui travaille sur le cycle de vie du mercure, encore complexe à comprendre.

Tous les jours, retrouvez le fil vert, le rendez-vous environnement de Libération. Aujourd’hui, quatre questions pour décrypter les enjeux environnementaux.

Comme le très médiatisé plastique, il se répand dans l’océan et se retrouve dans les assiettes. Seulement, le mercure est plus discret car invisible. Même à faible dose, ce polluant peut être néfaste pour l’être humain. En milieu marin, il prend une forme encore plus toxique : le méthylmercure, qui se retrouve accumulé dans les gros poissons que l’on pêche. Lars-Eric Heimbürger-Boavida, chercheur au CNRS et chimiste marin à l’Institut méditerranéen d’océanologie (Marseille), s’intéresse à l’origine de cette contamination dans les océans.

Quel est le problème de la pollution au méthylmercure ?

Ce neurotoxique agit sur le cerveau. La consommation de poissons trop riches en méthylmercure a des conséquences sur le développement des enfants ; les tests de QI montrent qu’ils sont moins performants. Quand l’homme met du mercure dans la mer, la nature le lui renvoie sous forme de méthylmercure. Sous cette forme, il est encore plus toxique, change de propriétés et s’accumule davantage dans les organismes (bioaccumulation). Il entre dans la chaîne alimentaire, la remonte jusqu’à l’homme. En France, on conseille aux femmes enceintes de ne pas manger plus de trois fois par semaine des gros prédateurs (thons, espadons…), car ce sont eux qui concentrent le plus de méthylmercure. En revanche, on peut manger des petits poissons (sardines, anchois…) tous les jours, car le poisson est une bonne source de protéines et d’oméga 3.

D’où provient cette pollution ?

Il y a quinze ans, on estimait que la moitié du mercure était de source naturelle et que l’autre moitié provenait des activités humaines, principalement par la combustion du charbon. Les sources naturelles, le volcanisme à la fois terrestre et marin, restent difficiles à quantifier. Des recherches sont en cours. Aujourd’hui, on pense que les émissions de mercure anthropique sont cinq fois plus importantes que celles de mercure naturel. En 2017, 126 pays ont ratifié la convention de Minamata des Nations unies pour limiter l’exposition humaine au mercure : des systèmes de filtration pour l’industrie, l’interdiction d’import et d’export de mercure, l’obligation de choisir des alternatives au mercure quand il y en a.

Comment expliquer que faire brûler du charbon ajoute du mercure dans l’eau ?

A la différence des autres métaux, le mercure est aussi un gaz. Une fois libéré par la combustion, il reste dans l’atmosphère entre six mois et un an, ce qui lui laisse le temps de se propager sur la planète, même jusqu’aux pôles. Puis il se dépose à la surface terrestre et marine. Dans l’eau, il est absorbé par le plancton et suit son cheminement : il sédimente puis est mangé par des bactéries dans les profondeurs. On pense que c’est à ce moment-là qu’il devient du méthylmercure. Il est absorbé par le phytoplancton, mangé par le zooplancton, mangé par les gros prédateurs. Pour autant, les océans ne sont pas pleins de mercure. C’est l’un des éléments les moins concentrés dans la mer. Mais la concentration est multipliée par 50 millions au bout de la chaîne alimentaire. Un thon qui contient 1 milligramme de méthylmercure par kilo de chair a accumulé ce qui était présent dans 50 millions de litres d’eau de mer.

L’homme risque-t-il d’être de plus exposé à l’avenir ?

Actuellement on ne sait pas. On ne connaît pas exactement le mécanisme de transformation et comment il peut évoluer avec le changement climatique. Mais le réchauffement rend les bactéries plus actives. Elles pourraient produire plus de méthylmercure. Malgré la réduction des émissions de mercure, il pourrait y en avoir davantage dans le poisson à l’avenir. Il faudra également être vigilants au développement de la pêche en Arctique. Cet océan ne contient pas plus de (méthyl)mercure qu’ailleurs mais c’est là que la faune en est le plus chargée. Ailleurs, les bactéries qui transforment le mercure sont présentes en profondeur, à 1 kilomètre de la surface, donc très loin du début de la chaîne alimentaire. En Arctique, c’est à 100 mètres. Cela expliquerait pourquoi les animaux sont plus contaminés.